Déserts médicaux : aux grands maux, plusieurs remèdes
L’Assemblée nationale a adopté le 7 mai 2025 en première lecture, la proposition de loi transpartisane visant à lutter contre les déserts médicaux, contre l’avis de nombreux médecins ainsi que de celui du gouvernement qui vient d’annoncer d’autres mesures pour faire face aux inégalités croissantes entre territoires pour l’accès aux soins.
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« Notre santé ne peut pas dépendre de notre code postal », appuie le député Guillaume Garot, rapporteur du texte de loi visant à lutter contre les déserts médicaux, à l’issue de la séance publique de l’Assemblée nationale le 7 mai 2025. Le député mayennais socialiste a salué « l’étape importante pour nos concitoyens » que constitue cette proposition de loi adoptée en première lecture mercredi. Le texte est le fruit de trois années de travail rassemblant neuf groupes politiques de l’Assemblée nationale (1) et cosigné par 256 députés. C’est dire l’adhésion de la chambre basse autour de la proposition de loi, dont le premier article avait été déjà adopté en séance le 3 avril, le vote des autres articles et amendements ayant été reportés, faute de temps.
Les députés ont été publiquement soutenus par 1 500 élus locaux au travers d’un texte publié dans La Tribune Dimanche. En revanche, le gouvernement et de nombreux médecins n’adhèrent pas à la proposition de loi qu’ils estiment coercitive. Le premier article du texte de loi mettrait fin à « la liberté d’installation » des médecins sur le territoire.
Une régulation de l’installation controversée
Sur les zones les mieux dotées, soit sur 13 % du territoire français, l’installation des médecins serait soumise à autorisation et conditionnée à la cessation d’activité d’un médecin de la même spécialité. Bien qu’adopté à une large majorité de députés, l’article premier de la loi a nourri de vifs débats à l’Assemblée nationale au début d'avril.
« Nous n’avons pas de solutions miracles mais nous voulons créer de nouveaux outils pour donner de l’efficacité à nos politiques publiques, pour la santé, et contre la désertification médicale, avec l’idée de stopper l’aggravation des inégalités de l’accès aux soins entre les territoires et donc entre les citoyens », argue le rapporteur de la proposition de loi, Guillaume Garot.
Vent debout contre la régulation de leur profession, de nombreux médecins libéraux, étudiants en médecine et internes ont manifesté le 29 avril dernier dans plusieurs villes de France. À l’instar du ministre de la Santé, Yannick Neuder, ils dénoncent « les contraintes » imposées. Celles-ci pourraient être, selon eux, contre-productives en augmentant les risques de départs de médecins à l’étranger, de déconventionnement, ou de pratiques d’honoraires libres.
Face à cette mesure phare de régulation controversée, le Premier ministre a lancé une parade en présentant son « pacte de lutte contre les déserts médicaux ». Moins contraignant que la proposition de loi portée par Guillaume Garot, ce pacte imposerait néanmoins aux médecins généralistes ou spécialistes de « consacrer deux jours par mois à des consultations dans les zones qui sont les plus en difficulté », a notamment annoncé François Bayrou, lors d’un déplacement dans le Cantal le 25 avril. Cela représenterait jusqu’à trente millions de consultations réorientées vers des territoires prioritaires. En actionnant différents moyens législatifs, les effets sur une plus grande présence médicale sur les territoires, pourraient être visibles « dès septembre » selon les propos de Yannick Neuder le 7 mai à l’Assemblée nationale.
Ticket modérateur et territorialisation des études
Les articles 2 et 3 de la proposition de loi contre les déserts médicaux font davantage consensus et ont été rapidement adoptés par les députés lors de la séance publique du 7 mai.
Le deuxième article de proposition de loi propose de supprimer la majoration du ticket modérateur, pour les Français qui ne peuvent trouver de médecin traitant. Pour les six millions de Français sans médecin traitant, cette majoration constitue en effet aujourd’hui « une double sanction ».
Le troisième article revoit la territorialisation des études de médecine afin d’attirer davantage de jeunes, en particulier dans les zones sous-dotées. Il est en effet constaté que les médecins s’installent majoritairement près de là où ils ont grandi ou ont fait leurs études. Est ainsi prévue dans la proposition de loi, la mise en place d’une première année en santé dans chaque département. Pour le rapporteur de la proposition de loi, c’est un enjeu fort que « de permettre à des jeunes issus du milieu rural ou des quartiers populaires de pouvoir embrasser des études de médecine » en rapprochant le lieu d’études du domicile familial. « Je me réjouis que le gouvernement ait repris cette idée », souligne Guillaume Garot, en allusion au pacte gouvernemental présenté à la fin d'avril.
Rétablir la permanence obligatoire des soins
Le quatrième article traite de la permanence des soins. Celle-ci est correctement assurée sur 97 % du territoire, mais seulement par la moitié des médecins. Encadrée jusqu’en 2002, elle est depuis basée sur le volontariat, ce qui a largement démobilisé les professionnels. « Elle fonctionne au prix de l’épuisement des quelques professionnels qui assument cet effort au nom de tous les autres », déplore Guillaume Garot, qui propose donc le rétablissement obligatoire de permanences à tous les médecins.
Si le rapporteur de texte y voit « un principe d’équité qui garantira l’attractivité du — beau — métier de médecin généraliste », Yannick Neuder estime que cet article « peut être contre-productif comme l’article 1 ». Cela peut « désinciter à l’installation », abonde le député Thibault Bazin (Les Républicains). « Sur la base du volontariat, cela fonctionne, alors pourquoi mettre une contrainte », observe par ailleurs le docteur Sophie Bauer, présidente du syndicat des médecins libéraux, auditionnée en parallèle, avec d’autres représentants de syndicats de médecins, par une commission d’enquête de l’Assemblée nationale (2).
À cette occasion, Agnès Giannotti, présidente du syndicat des médecins généralistes, a notamment dénoncé des mesures politiques prises « dans le flou », faute de statistiques suffisamment précises. Elle a rappelé que « l’accès aux soins est qui une question qui préoccupe énormément [les médecins] », qui sont « en première ligne » face aux patients.
La proposition de loi portée par Guillaume Garot pourrait ne pas recevoir la même adhésion à l’automne au Sénat où une autre proposition de loi pour « améliorer l’accès aux soins dans les territoires » est en ce moment examinée en parallèle.
Une autre proposition au Sénat le 12 mai
Les propositions sénatoriales sont davantage dans la ligne du gouvernement, notamment concernant la régulation de l’installation des médecins. Le 13 novembre 2024, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a adopté le rapport d’information du sénateur Bruno Rojouan (Les Républicains), traitant des inégalités territoriales d’accès aux soins.
Parmi les 38 recommandations du rapporteur, la première est que « toute nouvelle installation dans les zones les mieux dotées [puisse] ainsi être conditionnée à un exercice partiel dans une zone sous-dotée ». Il propose aussi que les modalités pratiques, notamment le zonage, soient dans un premier temps confiées à la profession elle-même. Des propositions jugées nettement moins contraignantes que celles soutenues par les députés.
La proposition de loi du Sénat pour « améliorer l’accès aux soins dans les territoires » est débattue en séance publique ce lundi 12 mai 2025. Favorable à la vision des sénateurs, le gouvernement a activé une « procédure accélérée » pour hâter le parcours législatif de ce texte.
(1) Hors Rassemblement national.
(2) Depuis la mi-mars, « une commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins » auditionne tour à tour à l’Assemblée nationale, plusieurs établissements publics, syndicats et fédérations de santé (la Haute autorité de santé, le système hospitalier public, les établissements de santé privé d’intérêt collectif, les agences régionales de santé, l’Assurance maladie, les syndicats des médecins).
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